Les enfants des classes défavorisées
Aux XIXème et XXème siècles, la représentation de l’amour maternel dans la peinture est généralement celle de famille aristocratique ou bourgeoisie favorisée. Cependant, il serait naïf de penser que les classes défavorisées n’accordaient aucun intêret à leurs enfants, bien au contraire. L’amour maternel n’est pas un sentiment qui vient avec l’argent ou un certain statut social. Mais si la représentation d’un enfant chéri d’une famille aristocratique plait toujours comme sujet de peinture, pour ce qui est des familles défavorisées, l’histoire est souvent toute autre, comme il en est également de certaines représentations.
Durant les XVIIIème, XIXème et XXème siècles (et même au-delà), les familles pauvres pouvaient parfois avoir recours à l’abandon lorsqu’elles ne pouvaient s’occuper convenablement de leurs enfants. Dans tous les cas, 50% à 80% des enfants abandonnées mouraient dans l’hôpital ou l’orphelinat, car il n’y a pas assez d’argent pour s’en occuper. Cet abandon n’est pas une traduction d’une absence d’amour maternel, comme en témoigne, dans les archives de l’hôpital général de Rouen, qui a accueilli pas moins de 500 enfants par an durant la deuxième moitié du XVIIIème siècle, un document écrit d’une femme ayant accouché en 1767 d’un garçon nommé Augustin, qu’elle abandonnera à l'âge d'un mois. Celle-ci écrit : « je me trouve dans la dure nécessitée d’abandonner pour un temps un enfant qui m’est plus cher que moi-même ; il en coûte à ma tendredresse et ne puis me consoler que dans l’espérance de lui faire un sort aussi gracieux qu’il me paraît présentement cruel. Cependant, j’ose me flatter que vous serez (une infermière de l’hôpital) sensible au malheur de la mère et de l’enfant et que vous aurez pitié de lui ; votre charité est trop grande pour refuser votre secours aux affligés ; personne ne le mérite plus que celle qui, sans avoir l’avantage de vous être connue, prend la liberté d’implorer votre protection pour un fils qui lui est si cher, son amour est aussi fort qu’il sera sincère, c’est ce dont vous pouvez vous assurer, de grâce Madame, ne lui refusez pas vos soins, ma reconnaissance sera éternelle ». Augustin décède 10 jours après le départ de sa mère.
Les oeuvres laissent supposer une forme d'amour maternel :
Sources pour cette partie :
FORMOSO Émilie, "Le nouveau visage de l'amour maternel : Histoire et analyse d'images et oeuvres", (en ligne), Histoire-Image, 2015.
https://histoire-image.org/fr/etudes/nouveau-visage-amour-maternel
KORFF SAUSSE Simone, « La représentation des enfants morts dans l’histoire de l’art », (en ligne), Cairn, 2014, p.46-48.
https://www.cairn.info/revue-le-carnet-psy-2014-9-page-46.htm
MOREL Marie-France, "L'amour maternel : aspects historiques", (en ligne), Cairn, 2001, p.29-55, n°18.
https://www.cairn.info/revue-spirale-2001-2-page-29.htm?ref=doi

Alexandre Antigna, L'éclair, 1848, 219,5 x 170 cm, huile sur toile, musée d'Orsay, Paris.
Alexandre Antigna (1817-1878) en 1848 réalise L’éclair. Dans cette scène sombre, où l’arrière-plan laisse supposer que la famille se trouve dans une sorte de maison en bois et briques, celle-ci est illuminée par un éclair qui attire de nombreux regards vers la fenêtre. La mère allaite le plus jeune enfant, tandis qu’elle protège contre elle une de ses plus jeunes filles, semblant être apeurée par l’éclair, ainsi que son fils qui pose sa main sur l’épaule droite de sa mère, en semblant essayer de se boucher les oreilles ou de se cacher les yeux, par peur de ce qui se passe dehors. La mère semble ici calme, et c’est cela qui régit la composition. En effet, toute l’agitation autour d’elle ne semble pas la déstabiliser. Elle observe ce qui est en train de se dérouler, et assure un rôle réconfortant pour ses enfants. Même si l’amour qu’elle a pour eux ne se voit pas aussi « fortement » que l’on pouvait le percevoir dans certains tableaux de familles aisées, comme chez Paul Leroy, cet amour est tout de même bien présent.

Jean François Millet, La Becquée, vers 1860, 74 x 60 cm, huile sur toile, Palais des Beaux-arts, Lille.
Une œuvre montrant une autre forme d’amour maternel est celle de Jean-François Millet (1814-1875), La Becquée, peinte en 1860. Dans cette œuvre, une paysanne nourrit à la cuillère trois jeunes filles, dont une tend sa tête en avant pour recevoir le contenu de la cuillère dans la bouche. L’environnement est assez neutre, rien ne laisse reconnaitre un endroit particulier. Le panier renversé avec les sortes de débris au bord inférieur laisse indiquer que la scène se déroule devant une maison paysanne. Cette idée est réaffirmée par les trois poules au bord droit central, ainsi que par l’homme en train de cueillir des légumes au bord droit supérieur. La femme ainsi que les trois fillettes portent des vêtements simples, laissant supposer leur condition. Cependant, le geste de la mère, nourrissant son enfant à la cuillère n’est pas sans faire écho à l’œuvre d’Adolphe Appian, L’heure du goûter, ou une mère donne du miel à son enfant à la cuillère. Ce rôle protecteur, comme si l’enfant avait besoin de sa mère pour encore pouvoir se nourrir, alors qu’il semble envisageable qu’il puisse le faire seul, montre un attachement entre la mère et celui-ci.

Norbert Goeneutte, La soupe du matin, 1880, huile sur toile, 70 x 92,5 cm, musée d'Orsay, Paris.
https://www.musee-orsay.fr/fr/oeuvres/la-soupe-du-matin-75114
Les tableaux représentant des enfants avec leur mère, appartenant à des classes défavorisées sont bien moins nombreux que ceux de familles aisées. Norbert Goeneutte (1854-1894) en 1880 réalise La soupe du matin, ou une mère tient sa fille dans ses bras et vient prendre un repas offert aux gens dans le dénuement. L’enfant et la mère sont emmaillotés dans des vêtements de fortune, attendant au milieu d’un hall. L’enfant regarde vers le spectateur, ce qui accentue la mélancolie de la scène, puisque celui-ci semble porter un regard triste. Le vide autour de la mère et de sa fille contraste avec la foule à l’arrière-plan ainsi que sur les bords inférieurs droit et gauche. Cette scène inspire tristesse au spectateur assistant à cette détresse dans laquelle la famille semble être plongée.

Alexandre Antigna, L'incendie, 1850, 262 x 282 cm, huile sur toile, musée des beaux-arts, Orléans.
Les scènes pouvant contenir une forme d’amour maternel représenté chez des familles démunies semblent toujours s’accompagner d’une idée de détresse. Détresse financière avec Norbert Goeneutte ou la mère ne peut nourrir son enfant, et chez Alexandre Antigna dans son œuvre L’incendie (date inconnue) où l'on voit aussi une forme de détresse provenant de la pauvreté : la famille, vivant dans une maison de fortune en bois, se retrouve pris sou un feu qui semble virulent et en train de dévorer tout ce qui se trouve sur son passage, juste derrière la porte de la pièce où la famille s’est réfugiée. La mère tient dans ses bras un nourrisson, qui cache son visage dans le coup de sa mère, comme pour se protéger en essayant de ne faire qu’un. Cette scène, figée à un moment décisif, laisse le spectateur sur son attente de savoir le dénouement de ce tragique évènement.

Joshua Reynolds, Miss Crewe, 1775, taille non précisée, huile sur toile, collection de la Tate, Londres.
Au sujet d'évènements tragiques, que ce passe t'il lors du décès d'un enfant ? Une nouvelle excursion hors de la France nous entraîne vers l'oeuvre du Britannique Joshua Reynolds (1723-1792) qui s'attèle à ce sujet, et représente en 1775 Miss Crewe. Cette oeuvre est une commande des parents de la jeune fille. Celle-ci décède durant sa quatrième année, et en hommage, ses parents ont demandé à l'artiste de réaliser une oeuvre représentant leur fille, pour garder un souvenir d'elle, et pour l'honorer. Ce genre d'oeuvre est très touchante, car l'enfant semble pleine de vie dans la représentation. Nous pouvons dans cette oeuvre décider de voir une forme d'amour aussi bien maternel que paternel, avec la volonté de garder le plus longtemps possible le souvenir intact de leur enfant.